Rick { d r u m s }

Aïe.

La droite qu’il venait de prendre en pleine tronche risquait de se voir un bon moment. Cette demi seconde d’égarement où il avait baissé sa garde allait se payer cher.

Il renvoie un bon crochet en direction de l’autre, loupé. Fait chier.
Dans la foulée, c’est le crochet de l’autre qui lui broie les côtes.

Ding ! Ding ! Ding !

Enfin ! Ébranlé et un peu chancelant, il s’affale sur le tabouret de son côté du ring. Le médecin qui le crème, le coach qui l’éponge, qui lui aboie dessus, la foule qui hurle, qui scande, qui veut du sang pendant qu’elle vide sa bière.
Ils étaient là pour ça ces charognards : sa chute. Et ils allaient la voir.

Trop longtemps qu’il était là. Trop longtemps à distribuer des bourre-pifs et à en éviter le maximum. Ce soir il distribuait que dalle et il en prenait plein la gueule. Fallait encaisser. Encaisser d’être le vieux, et lui la relève.
Accepter. Accepter d’avoir choisi un dernier combat, au lieu de se la couler douce; même si c’était perdu d’avance, il avait besoin de ce fric. Cinq rounds à tenir. Plus que trois.

Ding ! Ding ! Ding !

Lorsque ses vieilles jambes le propulsent devant l’autre branleur, il est prêt à en découdre, à encaisser, à tenir son titre.
Et puis, sans attendre une seconde, en un coup, le KO.

Tout se mit à aller au ralenti, tandis qu’il s’enfonçait dans le coltar.

Cris de la foule
Infirmiers
Ambulance
Noir.

Il avait tout perdu.
Sauf son canapé, depuis lequel il contemplait le plafond à peu près blanc de sa maison vide. Il était temps de passer à autre chose, ne serait-ce que pour lâcher un peu la bouteille.

Au fond de sa cour y’avait c’te vieille chiotte qui pourrissait depuis longtemps; une américaine, pas franchement un bijou, mais pas dégueulasse non plus.
Traînant nonchalamment ses savates jusqu’à son garage, il en revint flanqué de sa vieille caisse à outils. Puis sans trop y réfléchir, il commença machinalement à désosser la bête, boulon par boulon, vis par vis, tirant sporadiquement sur le cigarillo qu’il avait vissé au coin de sa bouche.
Chaque pièce démontée était méticuleusement posée sur le sol. Il ne pensait pas, travaillait d’instinct, ça faisait un bien fou.

Il s’affaira ainsi plusieurs jours, jusqu’à ce que la tôle rouillée et crasseuse n’abrite plus que du vide.

Bah voilà dit-il, maintenant on va s’marrer.

Il passa ensuite des semaines entières à poncer, nettoyer, réparer, polir, dégraisser, graisser, dévisser, visser, démonter, remonter, se gourer, jurer, casser, réparer encore, dormir un peu, et au bout d’un moment, à visser le dernier boulon, remettre du jus et mettre le contact.
Le son mélodieusement rauque du V8 avait quelque chose de magique qui le fascinait, et qui le fascinerait toujours.
Il avait enfin tourné la page et y’avait pas moyen d’en rester là.

Internet, réseaux, petites annonces, bouche à oreilles, bref il finit par tomber la dessus:


Team FASTBACK rech. bon metteur au point expérience. pour faire cracher V8
tel: (213) 509-6995 après 23h.
Pieds tendres et mous du genou refusés


23h02. Appel. Rendez-vous. Il attend.

Adossé à la tire qu’il avait remise sur les rails, il entend au loin la profonde expiration d’un V8 américain qui se rapproche, et apparemment le gonze se fait plaisir.

La Fastback se range gentiment dans l’allée, superbe dans sa livrée noire.
L’homme descend. Un regard, un hochement de tête.

“C’est toi le gars qui remonte les voitures de zéro ?“

“Exact. J’ai le cul sur la dernière en date.

Le gars penche la tête, renifle en connaisseur.

“Ok alors si t’es bien ce que j’crois que t’es, prends tes clés, monte dans ta caisse, suis moi et on t’expliquera tout au garage. T’en es ?“ demanda-t-il en tendant la main.

Le désormais ex-champion des rings serra la main tendue.

“Deal.“

Il sentait déjà l’adrénaline affluer en lui.
Pour sûr il allait la faire cracher, cette Fastback.