Ben { g u i t a r s }

Dans l’univers, il existe des moments où la coïncidence laisse place à une étrange impression de méticulosité divine. Comme si chaque chose avait pour finalité de se rencontrer en un point précis, à un moment déterminé, dans un intérêt plus grand encore. 

La scène était en place. 

Il faisait nuit, le faible éclat de la lune permettait à peine de voir dans la torpeur de l’obscurité. C’est entre doutes, brumes et ténèbres, que débute notre légende…

Il venait de tout perdre.
Encore un pari trop risqué, encore trop de verres, il pouvait pas tomber beaucoup plus bas… Titubant sous la bruine froide dans les rues sombres et vides de cette ville, la gueule cassée par les gorilles des mecs qu’il avait détroussé aux cartes deux heures plus tôt.

Dépassant une vieille baraque, une ruine pour être exact, son regard brumeux fût attiré par une étrange lumière clignotante, venant d’un vieux néon publicitaire. Il se figea et la fixa pendant plusieurs secondes, puis se dirigea vers elle. La bâtisse avait beau être croulante il émanait d’elle une sorte d’aura, qui l’enveloppa avec puissance. Sortant de sa torpeur il fut envahi de l’envie irrésistible d’entrer dans ce qui, il venait de s’en rendre compte, était un ancien garage automobile abandonné.

La porte n’ayant rien contre cette idée, elle céda facilement sous le poids de son épaule et il entra. Il fit quelques pas dans la pénombre, découvrant les rayons vides du magasin aux murs couverts de posters publicitaires brûlés par le soleil. Passant derrière le comptoir et sa caisse éventrée, il ouvrit la porte qui donnait sur l’atelier, ses murs couverts de posters non moins délavés que ceux d’à côté, mais à la thématique nettement plus frivole, quoique conservant cette classe presque poétique venue des sixties. Témoins oubliés d’un temps révolu, où tout paraissait plus simple.

“Si seulement tout était plus simple”, soupira-t-il.

Une odeur d’essence flottait encore dans l’air moisi qui l’entourait, une odeur entêtante qui commençait étrangement à l’étourdir. Dans la pénombre il ne vit qu’au dernier moment l’escalier du haut duquel il tomba lourdement.

Sonné, il se crut mort.

Il rouvrit les yeux. Il faisait toujours noir.

Après avoir été inconscient un certain temps, il tenta de se remettre debout.
Rien de cassé, à priori.

Il craqua une des allumettes qu’il avait pris quelques heures plus tôt dans le tripot. À la lumière dansante de la flamme il aperçut un vieux canapé encore assez digne, dont le cuir beige et un peu moisi avait l’air encore accueillant. Il faisait figure d’oasis dans ce sous-sol où il s’était pitoyablement étalé.

La banquette accueillit son fessier endolori et il poussa un long soupir de soulagement.

A gauche sur la petite table, il ne rêvait pas, une bouteille de bourbon avait été oubliée. Portant le goulot à son nez, et n’y trouvant rien de rebutant, il bu une longue rasade brûlante. Apaisé, il alluma une cigarette. 

Ses yeux s’habituaient maintenant à l’obscurité et il fit le tour de la pièce du regard. Devant lui, au fond, une masse sombre, imposante, presque effrayante qu’il reconnut immédiatement. Malgré la douleur sa bouche se fendit d’un large sourire. En tirant une bouffée, il dit d’une voix basse : “C’est moi que t’attendais, poupée.”

Face à lui, une sublime Mustang Fastback